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Il a abordé cette thématique sous plusieurs aspects

L’exil dans l’œuvre d’Ait Menguellet

Parmi les diverses thématiques de l’œuvre poétique de Lounis Ait Menguellet, nous allons tenter, ci-après, de décortiquer celle qui se rapporte à l’exil. Pour cela, nous avons choisi les poèmes qui traduisent les différentes causes qui mènent vers l’exil : Ayrib ur zegrey lebhur (1974), Anida n tegid mmi (1976), Ay agu (1979), Tibratin (1981), Abrid n temzi (1990), Lyerb n 45 (1992), Ad uyalen (1996), Ad ruhev (2001), yas ma nruh (2010).

Cette thématique a été abordée sous plusieurs facettes, tellement l'exil est douloureux et complexe. Le poète rend hommage à la génération des années d'avant l'indépendance, tant l'exil a été imposé par la situation coloniale. Celui-ci est d'essence économique, il est justifié par la misère de la population colonisée.
Il déplore aussi une situation que j'appelle «d'auto-exil» où des citoyens «désabusés» préfèrent fuir le pays pour diverses raisons: opposant, forcé à l'exil, refus d'affronter le terrorisme, déception... S'exiler c'est quitter, momentanément, ou définitivement les siens pour diverses raisons: politiques, économiques, sociales ou...égoïste/opportuniste. Cet exil (interne ou externe) pour des raisons objectives/subjectives a été abordé de façons différentes depuis le début de sa carrière, dans les années 1970 bien que les circonstances ne soient pas les mêmes. Elles sont dictées par des causes autant diverses que complexes.
L'auteur aborde ce sujet à travers le poème d'Ayrib ur zegrey lebhar où il met en avant la douleur causée par l'éloignement d'un conscrit, appelé sous les drapeaux, à l'approche des fêtes où toute la famille se rassemble. Ce sont des sentiments de quelqu'un qui sort de l'adolescence vécue dans les montagnes, pour se retrouver dans une caserne, loin de ceux qu'il connaît. C'est l'exil conjoncturel et «ad-hoc».
Exil économique: La misère imposée par l'ostracisme colonial fait que chacun est condamné à s'exiler pour aller à la recherche d'un gagne-pain dans la métropole française qui représente un endroit où la réussite (supposée) est assurée. La pauvreté subie en Algérie a fini par idéaliser la société française prospère, mais qui a besoin de main-d'oeuvre bon marché à la sortie de la guerre mondiale où plusieurs milliers d'Algériens ont été enrôlés par les forces coloniales.
Là apparaissent deux visions: (1) imaginaire/virtuelle de cette société française inconnue, mais vue d'Algérie (bonheur, réussite, gain d'argent, intégration, etc.) et (2) réelle où l'exilé (émigré) subit les affres du quotidien, peine pour économiser de l'argent à envoyer à la famille, l'ostracisme et le rejet/mépris auquel il fait face dans cet environnement étranger et hostile.
Cet exil pour raison économique débouche souvent sur des conséquences tragiques où l'émigré revient «les pieds en avant» vers sa famille laissée au village. Cette tragédie est magistralement décrite par l'auteur dans un poème fleuve en 1976 (Anida n tegid mmi) où la Mère a frappé à toutes les portes des émigrés qui reviennent pour des vacances avec leurs familles alors que son fils est quasiment...exilé, «perdu», malade et à la fin, mort en exil.
La solitude de l'émigré
L'émigré se sent seul, avec ses compatriotes, et vit en fait en marge de la société française où il est marginalisé avec ces compatriotes. Le bonheur idéalisé attendu en France est vite dissipé. La réalité, à laquelle il est confronté, efface complètement ce qui a été initialement imaginé. Cette dualité (imaginaire et réalité) cause de graves problèmes dans la famille: l'émigré/exilé subit la précarité de l'emploi
et les difficultés/ contraintes du travail (manque de moyens financiers) tombe malade et souhaite juste pouvoir rentrer au bled pour mourir dignement. Sa famille, laissée au village, pensant qu'il vit dans l'aisance et dans un bonheur parfait, fantasme sur les biens qu'il va apporter. Le retour au pays cause un choc pour tout le monde. Chacun est déçu et l'espoir s'est envolé, la réalité rattrape tout le monde. La vie menée par les émigrés «économiques» de cette période est en contradiction avec la société française, c'est l'autre visage de la France qui a édifié un monde à part (bidonvilles) pour ces gens qui viennent d'ailleurs afin de faire tourner la machine industrielle en panne depuis la dernière guerre. C'est la thématique traitée dans un poème de Abrid n temzi.
Exil politique Les tenants du pouvoir n'acceptent pas et combattent même les autres courants de pensée et par-là leurs initiateurs et adeptes depuis le début de l'indépendance. Le verrouillage du système ne laisse aucune alternative aux opposants si ce n'est de quitter le pays car ils risquent de perdre la vie ou se retrouver en prison s'ils restent. C'était l'ère du totalitarisme/unicisme.
Ceci a été abordé dans le poème ay agu où l'exilé politique, brisé par l'éloignement, s'adresse à un nuage qui se déplace dans le ciel et lui demande des nouvelles du pays, du frère et sur la façon dont le pays est gouverné et dit ahkim ur nes3a-ara ahkim anwa yaggad ma yeqqim (Un pouvoir sans contre-pouvoir de quoi aura-t-il peur?).
Le droit de vie ou de mort
Le printemps berbère arrive comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Entamées par des jeunes, suivis ensuite par la population, des manifestations ont été organisées partout pour revendiquer la démocratie, la liberté d'expression, le droit d'écrire et de développer la langue amazighe, etc. Il y a eu un élan de soutien magnifique encadré par des citoyens très engagés. Comme dans tout mouvement de masse, il y a eu des défections, des sabordages dus à des infiltrations ou à des opportunismes. Ceci a inspiré le poète qui a écrit le poème Tibratin en 1981. L'auteur décrit le découragement et la déception du citoyen/militant sincère qui décide de quitter le pays. Dépité, il le fait en toute âme et conscience et adresse des lettres explicatives à sa mère, sa fiancée et ses amis.
A chacun, il explique les raisons qui l'ont poussé à s'exiler: non-respect des engagements et de l'idéal de la lutte, la trahison, l'hypocrisie, l'opportunisme et autres. Le prétendant à l'exil explique qu'il ne veut plus vivre dans cette société où l'hypocrisie est manifeste, où les gens font exactement le contraire de ce qu'ils disent. Il se délie lui-même de ces engagements car le pire peut arriver du fait de l'égoïsme des gens qui pensent beaucoup plus salaires et autres avantages matériels qu'ils peuvent tirer du système. Il dénonce le comportement de ces gens qui jouent sur plusieurs cordes en même temps. Ils font semblant de lutter, mais sabordent les principes et l'idéal de lutte. Il rappelle que faire comme les générations antérieures c'est stagner et même reculer et c'est l'erreur fatale qu'il veut éviter.
Noblesse d'un combat
L'essentiel est de voir l'avenir, se relever de la chute/erreur et prendre en charge notre langue maternelle pour la faire sortir de l'oralité et la transcrire. Pour le poète, le combat pour la langue est d'une grande noblesse et ne doit pas être usurpé: tiyri nesla imi n tettad tezwar kul tayed yurwat ad astebrum asa, zik wa ihedritt i tayed tura di lkayed at idafen ineggura.
Exil par «opportunisme» /égoïsme ou d'instinct de survie (?)
Ceci est le cas de plusieurs personnes qui se sont auto-exilées durant la décennie noire durant laquelle l'hydre islamiste a tenté de phagocyter le pays par sa tentative d'extermination de tous ceux qui voulaient contrecarrer son idéal morbide.
Le poète dénonce ce phénomène d'auto-exil concrétisé non pas pour des raisons économiques, mais pour laisser le pays aux mains de ceux qui l'ont saccagé pour de sombres raisons idéologiques. Il dénonce ces desseins opportunistes et égoïstes de ceux-là même qui refusent d'affronter le mal en se mettant en marge de la lutte et du pays. Ce poème (ad uyaley) a été publié en 1996 en pleine lutte contre le terrorisme qui a coûté la vie à plusieurs milliers de citoyens qui n'ont voulu que vivre leur vie dans la dignité et qui souhaitent que l'on respecte leurs idées ou façon de vivre.
Le leitmotiv du poème et par là de ceux qui se sont auto-exilés est: «On reviendra lorsque la tragédie sera dépassée, car si on reste avec vous, on risque d'être anéanti» (sentiment légitime ou empreint de lâcheté en cette période où il fallait faire face à cette nébuleuse-tueuse). La peur a pris le dessus et ces auto-exilés ont choisi de laisser le pays à ceux qui sont décidés à en finir avec.
La magnanimité du poète
Dans un autre poème, l'auteur se pose la question au sujet de cette terreur que veulent imposer les imposteurs et les ennemis de la vie. Pour lui, le totalitarisme d'hier et terrorisme d'aujourd'hui sortent d'une même matrice: Ansi dekkid a rrehba / si tmurt n targit (D'où viens-tu terrorisme/ du Pays des Rêves) - Tbedled kan ssifa ma dudem-im aqdim nesnit/ tu t'es seulement travesti/ mais nous reconnaissons tes méthodes). Le terrorisme n'est pas sorti du néant. Il découle d'un mode de gouvernance. Il a sa matrice dans les arcanes du pouvoir qui oppose à chaque fois les différents segments ou courants de pensée de la société pour se neutraliser mais entre-temps les secteurs vitaux (école, justice..) sont tombés dans l'escarcelle des islamistes moyenâgeux.
Exil par déception et dépit
Cet exil est dicté par la déception subie par certains citoyens qui se retrouvent à l'étroit, par manque de vision d'avenir, du rétrécissement des libertés, chômage endémique et d'autres raisons objectives.
La situation sociale y est pour beaucoup. Le poème (ad ruhey) publié en 2001 décrit l'itinéraire d'un jeune dépité qui ne se projette qu'à l'étranger et qui décide de s'exiler. Il est saisi par l'angoisse qui précède le départ vers cet inconnu, étant conscient qu'il part sans grande perspective de réussite. Le poème est très poignant. Il décrit les déceptions subies par un jeune en manque de repères, mais avec un esprit très clairvoyant, devant lequel un rideau noir se dresse comme une fortification infranchissable.
Si je reste comme tout le monde La vie est semblable à la mort C'est très dur (pour moi) de vous dire que je vous laisse, o! Morts dans les tombes /sur lesquels je m'assois/ je vous ressemble beaucoup/ je ne suis qu'un mort-vivant/ à la différence que/ vous êtes allongés et moi je suis debout C'est très dur (pour moi) de vous dire que je vous quitte, o! mes amis.
Je vous oublierai Quelles que soient les conditions Je ne vous contacterai pas Si je réussis, je ne vous aviserai pas Si c'est ma perte C'est seul que je me débrouillerai On a espéré que ça change Et demain sera meilleur Chaque jour empire  Il n'y a que le l'exil qui sauvera C'est très dur (pour moi) de vous dire que je pars ô mes amis!....
Les scénarii catastrophes
Le texte est très direct. Le jeune, sans repère dans son pays, envisage tous les scénarii catastrophes qu'il peut affronter. Il part en connaissance de cause de tout ce qui peut lui arriver de pire, mais il s'est armé psychologiquement pour faire face à sa destinée, quels que soient les entraves.
Dans un autre opus édité en 2010, le poète décrit les causes et les conséquences de l'exil avec les sentiments et ambiguïtés du départ forcé et à l'éventualité du retour. Dans ce poème intitulé «?as ma nruh le style est aussi direct. L'exilé confie sa douleur. Ecoutons l'auteur: A la naissance, on est pris d'angoisse/ suspendu entre le ciel, la terre et la mer/ le souhait de partir est lié à celui du retour.
Cette instabilité morale est quasi innée. Elle est liée à cette mouvance de la société colonisée pendant des siècles.
Après le départ (souvent imposé), le souhait du retour émerge, se concrétise, mais il est parfois remis en cause (par découragement) par ceux qui sont les nouveaux prétendants à l'exil. On est ainsi dans un cycle hélicoïdal/spirale (non circulaire) qui ne s'arrête pas et qui ne se ferme pas.
Ainsi, l'exil/désertion est quasiment présent dans le parcours historique de notre société. Les citoyens décident facilement de partir «ailleurs» par choix délibéré ou par contrainte imposée. Ceci a un lien avec les différents occupants/colonialismes historiques du pays qui ont imposé un mode de gouvernance qui ne correspond pas à la pratique sociétale maghrébine et ceux qui ont suivi et qui sont généralement totalitaires limitant les libertés et occultant les principes de démocratie.
De l'exil, pour raison économique de la période coloniale jusqu'à quelques années après l'indépendance, à celui des dernières décennies, imposé par la situation politique et sociale, l'Algérien rêveur, d'esprit libre préfère fantasmer sur cette «Autre société de rêve» idéalisée à outrance.
L'exil coule dans les veines, à sang chaud, de beaucoup de jeunes qui se sentent à l'étroit dans cet environnement de plus en plus archaïque malgré toutes les modernités matérielles ambiantes. C'est un peu de paradoxe: modernité matérielle et virtuelle du XXIe et mentalité qui tire vers le Moyen Age. Le poète traite cette thématique de l'exil de façon très percutante et poignante, constate les faits et énumère les conséquences de la bouche même des préposés à ce phénomène. C'est cette conscience qu'il y a lieu de déplorer et prendre en charge dans cette société qui saigne chaque jour.

De Quoi j'me Mêle

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