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La robe blanche de Barkahoum

Autopsie de la condition féminine

Pourquoi Barkahoum. Pourquoi ce prénom négatif ? Parce qu’elle n’était pas désirée, parce qu’elle était née après deux garçons et trois filles. On sait, depuis Freud, qu’on ne guérit jamais tout à fait des traumatismes de son enfance.

Elle s’appelle Barkahoum et sa vie n’est qu’une succession de problèmes à tel point que c’est miracle qu’elle ne se laisse pas abattre. D’autres moins fortes qu’elle, se seraient blotties dans les bras vénéneux de la dépression, pas Barkahoum qui trouve la force de lutter dans le regard méprisant des autres. Des autres qui ne lui pardonnent pas d’être femme, instruite et indépendante. Mais n’allons pas plus vite que la musique. Allons-y piano-piano. D’abord pourquoi Barkahoum. Pourquoi ce prénom négatif ? Parce qu’elle n’était pas désirée, parce qu’elle était née après deux garçons et trois filles. On sait, depuis Freud, qu’on ne guérit jamais tout à fait des traumatismes de son enfance.

«Les cheveux blancs ne sont pas un gage de sagesse»
Dès les premières lignes du premier chapitre, elle annonce la couleur, couleur sombre : « Je me suis battue contre ma grand-mère, contre ma mère et contre mes imbéciles de frères Zamen et Chams. » Ces deux-là on va les retrouver tout au long du livre comme une obsession qui lui pourrit la vie. C’est peu dire que ces deux aînés lui ont fait baver, elle, médecin fière de son statut et eux ignares. Des Algériens négatifs comme on en trouve, hélas, dans chaque famille. Quant à sa grand-mère, une femme acariâtre et cruelle à côté de laquelle l’emblématique Folcoche, mère méchante et détestable du roman Vipère au poing d’Hervé Bazin paraît un modèle de gentillesse. Sur sa grand-mère, elle aura un mot si ciselé qu’il a des allures de maxime : « Les cheveux blancs ne sont pas un gage de sagesse et d’omniscience, auquel cas on mettrait des lauriers sur la tête des albinos.»
C’est une fille de Bordj Bou Arréridj Barkahoum Mabrouka, un doux oxymore que ces deux noms opposés-juxtaposés. C’est une fille courageuse Barkahoum qui refuse de porter le hidjab en dépit des pressions de sa famille et de la société. « C’est moi qui décide. Je suis née libre et j’entends le rester. » Que ça plaise ou non et advienne que pourra ! Quel sacré caractère tout de même. Le récit est si précis, si personnel, si tourmenté avec ses obsessions et ses répulsions pour les mêmes personnes (la grand-mère, et ses frères Zamen et Chams) qu’on retrouve presque à chaque page, qu’on ne peut s’empêcher de penser à un storytelling avec sa dramatisation, avec sa tension permanente et enfin sa résolution. Mais est-ce bien une autobiographie ? La question mérite d’être posée même si l’auteure était enseignante universitaire et non médecin. Sa description du monde de la santé est si vraie qu’on la conseille à tout chercheur s’intéressant au secteur de la santé, ou mieux encore à tout futur ministre de la Santé. Rarement les problèmes ont été posés avec autant de lucidité et de pertinence. A l’appui, donnons largement la parole au docteur Barkahoum qui vient d’ouvrir son cabinet : « Les structures sanitaires s’appauvrissaient en équipements les plus élémentaires jusqu’à créer une situation déplorable pour les citoyens où tout l’appareillage acquis et importé à coups de devises fortes était livré à la poussière parce que déclaré en panne après une ou deux années d’utilisation. La situation se détériora plus rapidement quand le secteur privé se déploya au détriment du secteur public. » Et cette condamnation sans appel sur la myopie et l’incompétence des différents décideurs qui ont piloté le secteur sanitaire : « Plutôt que de s’appliquer à faire du secteur public de la santé un secteur fort, formateur et innovant en matière de recherche en santé publique, d’en faire un bastion de la prévention pour alléger les dépenses publiques, les réformes multiples et toutes infructueuses aboutirent à le dépouiller pour alimenter le secteur privé où les intervenants, peu scrupuleux pour certains, étaient plus soucieux de leurs rentrées d’argent que de la santé du citoyen. » Elle reviendra plusieurs fois sur l’état alarmant du secteur de la santé et sa descente aux enfers depuis l’époque bénie des grands professeurs tels que Mentouri, Klioua, Lehtihet, Aouchiche, Chitour, Benallègue, Kellou c’est-à-dire à son époque, cette époque qui a commencé dans les années soixante à la fac d’Alger de médecine pour se poursuivre en tant que praticien dans les années noires et se terminer au début du nouveau millénaire. Mais que d’épreuves, que de tribulations, que de péripéties qu’un réalisateur inspiré pourrait mette en film. Un film dramatique avec parfois beaucoup d’ubuesque quand ce n’est pas du burlesque.

La dure condition de «Bayra» dans une petite ville
Voici le docteur Barkahoum dans son cabinet. Bonjour les problèmes de toutes sortes. On pénètre de plain-pied dans le roman Le destin de Robert Shannon d’A.J. Cronin. Ce sont les mêmes difficultés, la même méfiance et les mêmes réflexes érigés contre Barkahoum dans deux sociétés différentes dans le temps et dans l’espace. Mais si on peut dire que les problèmes qu’évoque A.J. Cronin datent des années quarante, que dire de ceux de Barkahoum qui sont d’aujourd’hui. Soixante-dix ans de retard, voilà. A force de ténacité, de dévouement, d’humanisme et de compétence, elle arrivera à se faire respecter de tous. Sauf d’un voyou se réclamant des frères qui l’agressera dans son cabinet.
Femme de tête qui ne sait pas faire de compromis, Barkahoum ne comprend pas le triste sort qui est fait aux femmes, ce deuxième sexe maudit par les hommes d’un autre temps. Elle s’interroge joliment : « En quoi naître un homme rend-il supérieur ? En quoi naître femme rend-il inférieur ? Deux êtres humains de sexe opposé, deux êtres humains tout court. Egaux de par leur appartenance à l’humanité. Pourquoi dois-je me soumettre à un être humain simplement parce qu’il est venu au monde avec un attribut entre les jambes qu’il n’a pas inventé. Nous aussi les femmes, sommes nés avec un attribut sauf que le nôtre ne pendouille pas entre nos jambes. » Elle ne va pas avec le dos de la cuillère Barkahoum dont le verbe coloré peut choquer les âmes prudes. Elle n’en a cure. Elle dit ce qu’elle pense quitte à déplaire. C’est cette franchise qui lui a valu l’inimitié de sa grand-mère dont la mort l’a laissé aussi froide que le cercueil où on l’avait enfermée. A 43 ans, elle n’a toujours pas trouvé le prince charmant que son cœur de midinette espère. Bien sûr qu’elle a connu platoniquement des hommes-la précision est de rigueur- mais c’était des demi-sel, des bornés qui voulaient la soumettre. C’est mal la connaître. La soumission n’est pas un attribut de son caractère. La rébellion oui. L’insoumission oh que oui ! Mais le reste, ouste ! Balivernes, comme elle l’a souvent écrit. « Bayra » donc, le docteur qui est arrivé à une relative aisance financière, un qualificatif qui vaut insulte pour les vieilles filles qui font partie de ce troisième sexe transparent dans le meilleur des cas quand il n’est pas sujet à quolibets et compassion. De «Bayra», elle en fait même un délicieux jeu de mots : « Pauvres de nous les ‘’bayrates’’, les célibataires, nous sommes condamnés à traîner notre virginité jusqu’au trou, sans jeu de mots. » Difficile de retenir un rire, sinon un sourire, sinon une méditation sur la dure condition d’une «bayra» en Algérie. Dans une grande ville sa condition est à la limite supportable, mais dans une petite ville ou un village, elle est regardée comme une bête de foire. Quant à sa robe blanche, celle qu’elle admirait souvent en rêvant du prince charmant, elle lui a été volée. Volée comme son enfance. En fait, on lui a tout volé sauf son sacré caractère et ses rêves. Et comme dans tout storytelling tout se termine bien. Mais pas à Bord Bou Arréridj où le ciel est si bleu et les âmes souvent grises, mais ailleurs où le ciel est si gris et le rêve si possible. On n’en dira pas plus pour ne pas déflorer, pour parler comme le docteur Barkahoum, le sujet. Gardons-lui sa virginité. Un mot sur le style de Saffidine. C’est une très belle surprise, vraiment. Il est l’égal des plus belles plumes féminines, Maissa Bey et Fatéma Bekhai, entre autres. Il reste juste à l’auteur à mieux polir son texte pour éviter les répétitions de situation, les redites et autres ressassements qui alourdissent ce récit porté par une plume superbe.

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