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CONTES KABYLES PAR ÉMILE DERMENGHEM

Que les timouchouha revivent!

Les contes, comme activité d'éveil que ce soit à la maison ou surtout à l'école, sont un legs précieux de nos aïeux, mais ils sont presque tous oubliés. Et donc, est oubliée la simple et pure éducation de nos enfants aujourd'hui...

«Que vas-tu nous conter, ce soir, Grand-Mère (Djaddatî ou Oummânî,...)?» Le conte est le miroir de la société, affirme-t-on unanimement. Il dit la société ancienne et il dit la société moderne. Pour certains, c'est un récit, je dirais plutôt, c'est une histoire, une histoire originelle spécifique, et je dirais encore une «simple» narration d'événements réels ou imaginaires. J'ajouterais que c'est un genre bien évidemment littéraire non écrit, car, de fait, sa transmission est naturellement orale. Cependant, avec l'avènement de l'imprimerie et les progrès techniques des arts graphiques, le conte écrit a gagné en souveraineté auprès du public lecteur, le public jeune, et là, je souhaite que l'on parle plutôt de conte pour la jeunesse et de livre pour la jeunesse, - du moment que l'on parle de «lecture», donc de l'écrit et non pas de l' «écoute», donc de l'«oral». Aussi faut-il saluer la récente manifestation culturelle ayant eu pour thème «la lecture et le livre pour enfants» qui a été organisée par la Bibliothèque nationale d'Alger et l'APW d'Alger.

Des contes authentiques
Nous ne dirons jamais assez la fonction pédagogique du conte, ni sa fonction psychologique, ni le rôle du conteur (sa voix ou son texte écrit). Au reste, j'ai eu la chance de le constater et de m'en réjouir au cours des émissions hebdomadaires intitulées «Il était une fois» que j'ai produites à la Chaîne 3 et qui ont été réalisées par Djamal Benhabylès dans les années 70. J'illustre ici mon propos en puisant dans Contes kabyles (*) d'Émile Dermenghem (1892-1971) qui a été archiviste, paléographe et journaliste en France puis, bibliothécaire du gouvernement général de l'Algérie de 1942 à 1962. Cet auteur, dont j'ai présenté l'instructif essai «La VIe de Mahomet» (lire L'Expression du mercredi 24 juin 2015, p. 21.), a noté dans son ouvrage cité en premier: «Les Berbères, dit Ibn Khaldoun au XVe siècle, racontent un si grand nombre d'histoires que, si on se donnait la peine de les mettre par écrit, on remplirait des volumes (Histoire des Berbères, trad. De Slane, Alger, 1852n t. I, p. 205.).» Dans le présent recueil, on trouvera des contes qui «proviennent, précise Dermenghem, surtout de la région du Haut Sébaou; mais il est évident qu'en raison des innombrables contacts entre les montagnes de la Grande Kabylie et Alger, la localisation des textes ne saurait avoir une rigueur absolue. Les Kabyles conservent jalousement leurs traditions et leurs coutumes, mais ne se dérobent à aucune influence.» Dermenghem souligne: «Nous nous sommes efforcés de reproduire les contes tels qu'ils sont dits, sans y ajouter des fioritures littéraires et de vains délayages. [...] Tout le travail littéraire ou d'érudition qui peut être fait autour d'eux doit d'abord respecter leur intégrité. Toutes proportions gardées, il faut, comme pour les livres saints, établir des textes authentiques».
Citons quelques titres de contes contenus dans le recueil d'Émile Dermenghem: Les épreuves de Aïcha; Mhammed et la Gazelle d'or; Histoire de Athillah; El Ghoûl Amelloul et sa soeur Hadezzine; La femme jalouse et l'oeuf de serpent: Amar Nofç; Le Sultan et les trois Hachâïchis; La Vieille, les Orphelins et le Fils du Roi; La Jinnia du Jebel Wâq Wâq.
Voici deux exemples de contes courts:

«La Vieille, les deux Orphelins et le Fils du Roi.»
«Il y avait et il y avait - lys et basilic, herbes du Prophète, sur lui ma prière et le salut - et il y avait une vieille qui vivait avec son fils et sa bru dans une baraque (achouch) en pleine forêt. Ces deux époux moururent, laissant deux orphelins.
La pauvre vieille était incapable de travailler, d'aller à la chasse ou de cultiver. Elle n'avait aucune provision, rien du tout à mettre ce soir-là dans la marmite. Elle mit pourtant la tasilt sur le feu avec de l'eau claire dedans comme si elle avait quelque chose à cuire. Puis elle fit étendre les enfants de chaque côté d'elle, leurs têtes sur ses cuisses et chantonna: ´´Ne vous tourmentez pas: le souper cuit, le souper cuit´´ jusqu'à ce qu'ils s'endormissent sans s'apercevoir qu'ils étaient à jeun.
Or, le fils du roi (aguellid), quand il allait à la chasse, voyait cette maison isolée d'où sortait de la fumée chaque soir. Intrigué, il y entra un jour et vit la pauvre vieille, toute blanche et toute maigre, qui chantonnait tristement près des enfants qui s'endormaient la tête sur ses cuisses. Il l'interrogea et se fit dire de quelle façon les trois malheureux se donnaient l'illusion de souper.
Ému de pitié, le prince retira de son doigt une bague de grande valeur, sur laquelle était gravé son nom et la donna à la vieille en lui disant d'aller la vendre le lendemain au marché. Le lendemain en effet, la vieille se rendit au soûq et offrit en vente la belle bague. Mais les gens voyaient le nom qui était gravé sur l'anneau, non seulement n'osèrent pas l'acheter, mais allèrent la dénoncer comme voleuse au roi. Celui-ci fit venir la pauvre femme et la condamna, selon la loi, à avoir un bras coupé.
Rentrée chez elle, le soir venu, elle fit comme d'habitude, mit la marmite d'eau claire sur le feu et prit ses petits enfants près d'elle, la tête sur ses cuisses, répétant pour les endormir: ´´Ne vous tourmentez pas. Le souper cuit. Le souper cuit.´´
Le fils du roi, revenu, la trouva dans cet état, avec un bras en moins.
- Ton cadeau m'a porté malheur, lui dit-elle. Tu vois ce que le roi m'a fait, et mes petits enfants n'ont pas plus à manger hier.
Indigné et consterné, le prince alla trouver son père, lui reprocha l'excessive célérité de sa procédure et l'injustice de son jugement, lui expliqua l'affaire et la triste situation des habitants de la baraque en pleine forêt.
Voulant réparer ses torts, l'aguellid fit donner à la vieille un livret pour qu'elle vînt toucher chaque mois une pension.»

«Le Vieux, la Vieille et l'Ogre»
«Il y avait une fois - lys et basilic, herbes du Prophète, sur lui la prière et le salut - il y avait deux vrais époux qui vivaient seuls dans un gourbi éloigné du village. Ils avaient sept chèvres, un veau et un âne. Le vieux s'occupait des bêtes et des champs, la vieille faisait la cuisine et le ménage.
Une nuit, ils entendirent des cris terribles à leur porte. C'était un ogre sauvage qui disait:
- Sbaa tighten, agendiuz aghioul, tamghart d'amghar, fktii ieouen atettchar. Sept chèvres, un veau, un âne, une vieille et un vieux! Il faut m'en donner un à manger!
Tout tremblants, les deux vieux se cachaient sous leurs couvertures et faisaient semblant de ne pas entendre. Mais l'ouahch insista tellement, poussa des cris si terrifiants et donna de tels coups dans la porte que les malheureux se décidèrent à lui donner une chèvre.
Le lendemain soir, l'ogre revint crier:
- Six chèvres, un veau, un âne, deux vieux! Il faut m'en donner un à manger!
Et il fit tant de tapage, qu'on lui donna encore une chèvre.
Il en fut de même les jours suivants, et tous les animaux furent bientôt dévorés par l'ouahch. Le dixième jour, le vieux dit à la vieille:
- Il va revenir cette nuit et vouloir manger l'un de nous. Je vais mettre une porte grillagée à la zriba et consolider avec des poutres celle de la maison. Toi, fais-nous une bonne soupe de fève; ce sera toujours cela de pris.
Après avoir pris ces précautions, bien dîné et laissé, au milieu de la pièce, le kânoûn plein de braises, le vieux et la vieille allèrent se coucher, non pas dans leur lit, mais, celle-ci dans un couffin (tisnit) suspendu au toit, celui-là dans le berqa, trou creusé dans le sol où l'on écrase les olives avec les pieds.
L'ogre ne tarda pas à venir pousser ses cris lugubres et menaçants, exigeant une victime humaine cette fois, pour son ventre insatiable.
- Le vieux et la vieille! Il faut que j'en mange un!
- Comme on ne lui rendait pas, il cassa la porte de la haie, recommença à hurler devant la porte de la maison, réussit à la défoncer et entra dans la chambre où il ne vit personne. S'approchant du kânoûn, il s'assit pour se chauffer, il resta quelque temps déconcerté par le silence, puis se leva pour partir. Au bruit qu'il fit alors, la vieille se méprit et, croyant que c'était son mari qui avait bougé, eut la bêtise de lui dire:
- Que Dieu te donne une maladie! Tu vas nous faire manger par l'ouahch!
Ce à quoi, il répondit, non moins stupidement:
- Tais-toi malheureuse, et reste couchée: il va nous manger tous les deux!
L'ouahch commença en effet par la vieille et finit par le mari. La bêtise est toujours punie.
Le chacal, qu'Allah le maudisse. Il m'a frappé avec un beignet. J'ai mangé le beignet. J'ai frappé le chacal avec le battoir à laine (ardouz). Je l'ai tué.»
Comme on célèbre Yanâyar 2966, je présente mes voeux de bonheur à mes lecteurs.

(*) Contes kabyles d'Émile Dermenghem, Éditions Charlot, Alger, 1945, 215 pages.

De Quoi j'me Mêle

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