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TEMPS D'EXIL DE MEHDI LALLAOUI

L'Autre condition humaine...

Ce n'est ni une philosophie ni un idéal de vie, c'est une peine pire encore qu'«une espèce de longue insomnie» dont Victor Hugo qualifie l'exil, et le plus grave, c'est l'esprit en exil.

L'imperfection de la vie quotidienne, les rumeurs et les humeurs de la société conduisent souvent l'être qui pense, accablé d'incompréhension, de tristesse et de solitude, à considérer qu'il est submergé d'un fort sentiment de l'exil et qu'il est mêmement déjà pris au piège du temps de l'exil. Dans son recueil de poèmes et de nouvelles, intitulé Temps d'exil (*) Mehdi Lallaoui, né en France, cinéaste documentariste, développe un des thèmes parmi les plus graves de l'exil, celui des flux migratoires provoqués par les guerres génocidaires observées ces dernières années en pleine Méditerranée.

Une humanité souffrante
Cette forme d'émigration a pris une ampleur catastrophique et de plus en plus tragique pour des centaines de milliers de personnes (des adultes et des enfants, des hommes et des femmes, des individus et des familles) fuyant, malgré des risques mortels, leurs pays en guerre ou en crise économique. Mehdi Lallaoui s'est attaché à produire un document puissant et vivant sur la guerre, cette monstrueuse vésanie, qui cible les populations sans défense et cette navrante émigration qui ruine toutes les espérances de vie meilleure.
L'auteur est membre d'une association intitulée Au nom de la Mémoire; elle «oeuvre pour la reconnaissance des oubliés de l'Histoire». Il s'est fait connaître par la publication d'ouvrages aux titres révélateurs de ses préoccupations littéraires et son militantisme en faveur de «la condition humaine dans le monde»: Petites notes de voyages à usage vagabond; Terres Kanak; Exils, exodes, errances; et le présent recueil de poèmes et de nouvelles Temps d'exil. Il y a un agréable mélange de genres de textes littéraires, et c'est une écriture spontanée, sensible et nuancée qui ose élever d'audacieuses réflexions sur notre humanité souffrante. Le témoignage de Mehdi Lallaoui retrace avec réalisme, dépit et tendresse aussi, la douleur installée sur les routes méditerranéennes: devant, c'est l'inconnu, mais on espère, on croit à la vie; derrière soi, c'est la mort programmée, feu après feu, la torture morale et physique, ensuite la souffrance et le néant. L'apaisement existe dans la douleur de la traversée, se perpétue jusqu'au rivage de la destinée d'un continent rêvé, imaginé... Mais est-ce possible? Oh! beaucoup ont été sauvés. Beaucoup n'y sont jamais arrivés. Les frontières sont fermées, hérissées de fer et d'indifférence...Les actualités ont assez nourri les articles de presse, et tous les médias! Et inlassablement, les flots et la nuit ont trop souvent tout avalé!
Lorsqu'on parle de malheur, peut-on sans rougir, lire les magnifiques et terribles poèmes de Temps d'exil, et dont voici un exemple?
TERMINAL 2E L'homme semblait débarquer sur une autre planète, / Il tournait sur lui-même, pétrifié à l'idée de faire un pas. / Les voyageurs le frôlaient sans le voir. / Comment récupérer son bagage?/ Où se poser pour la prière? / Et le cousin qui devait l'accueillir? / Les voyageurs le contournaient sans le voir. / Les néons lui bleuissaient le teint et le rapetissaient. / Lui, le grand Noir des Hauts-Plateaux, / Au premier venu, il osa une question / En s'excusant de déranger. / Il en aborda un deuxième, puis un troisième. / Les voyageurs le dévisageaient sans lui répondre. / Comment rejoindre la grande ville? / Où prendre ce métro diabolique? / Pourquoi les balayeurs sont-ils tous noirs et les voyageurs asiatiques pressés? / Pourquoi tant d'impolitesse? / Pourquoi avait-il quitté son pays? / L'homme semblait débarquer dans un autre monde, il tournait sur lui-même, pétrifié à l'idée de faire un pas. / Les voyageurs poursuivaient leur chemin.

Des narrations de situations vécues
À présent, voici, très courtes, à titre d'exemple de nouvelles contenues dans Temps d'exil de Mehdi Lallaoui:
«Mahmoud Il avait entendu et réentendu le chiffre improbable: sept cent cinquante euros! N'avait-il pas rêvé? Les jeunes du village qui allaient de temps à autre vers la ville et les boutiques Internet le lui avaient confirmé. C'était incroyable. En France, les pauvres vivaient avec sept cent cinquante euros par mois. Sept cent cinquante euros! Ils appelaient cela «Le seuil de pauvreté»! Mahmoud, lui, avait calculé que la somme pouvait faire vivre sa nombreuse famille toute une année durant. La terre qu'il grattait du lever au coucher pour faire sortir quelques tubercules suffisait à peine à sa subsistance et à celle de ses enfants.
Sept cent cinquante euros! Il avait énuméré en comptant sur ses doigts tout ce qu'il pourrait acheter avec cette somme pharaonique.
Sept cent cinquante euros!
Il voulait connaître le seuil de pauvreté lui aussi. En devenant un pauvre en France, il serait le plus envié des hommes de son village, le plus heureux.
N'en pouvant plus, il décida un jour d'aller retrouver le vieil oncle qui avait connu l'exil et qui tenait une échoppe dans le chef-lieu de la province.
Le vieil oncle le reçut et le régala deux jours durant, comme s'il s'était agi d'un prince. Puis, au troisième jour, il l'entreprit de son expérience européenne.
Rien ne fut épargné au neveu. Le voyage long et semé de déconvenues, la traversée des frontières, la mort des compagnons, l'installation et la recherche d'un travail, l'acceptation de tout ce qui permet de vivre, les mauvais mots, les ignorants se sentent supérieurs, la perte de la terre natale et aussi l'hiver et la neige, l'alcool, la perte de soi...
Au cinquième jour, Mahmoud regagna son village, le visage serein et assuré. À ceux qui lui demandaient la raison de son renoncement, il répondait: «Mieux vaut rester pauvre ici et garder sa dignité que riche en Europe et se retrouver nu.»
«José José n'avait fui ni la dictature ni les persécutions, ni la pauvreté. Il n'était pas non plus poussé par quelque dépit. La décision de s'installer à Paris résultait d'un choix vie, motivé par l'amour pour un pays dont les écrivains avaient colonisé la bibliothèque de son grand-père. C'est ce dernier qui lui avait fait découvrir la langue française. En époussetant délicatement la tranche des livres, en caressant amoureusement les reliures anciennes, il lui murmurait que tous les écrivains hébergés sous son toit faisaient partie de la famille. De lointains cousins, en quelque sorte.
Un jour, alors qu'il était enfant, le grand-père lui avait conseillé de l'imiter: devenu adulte, il lui faudrait non pas se contenter de rêver ses rêves, mais tenter de les vivre réellement. Au début du siècle, le jeune homme qui allait devenir le père de sa maman voulait assouvir un rêve d'enfant.
Le secret de son voeu le plus cher était lové dans l'étui de son portefeuille et le conserva jusqu'à sa mort: une photo représentant une montagne de rocaille, blanche comme de la craie imposante, majestueuse... Sublime.
Jeune homme alors vigoureux et talentueux, le grand-père travailla dur pour payer son passage vers le Vieux Continent. L'Europe se trouvait à l'époque à vingt-cinq jours de bateau. Il ne voyagea pas en fond de cale, mais sur le pont, près de jolies femmes en crinoline et des messieurs en tenue de lin blanc fumant le havane sous leurs grands panamas.
Dès son arrivée en Europe, le grand-père n'eut de cesse de retrouver ce monticule à la blancheur insolente. Il lui fallait assouvir son désir. Joindre cette montagne mystérieuse, la prendre dans ses bras, la gravir sur tous ses versants, la découvrir de jour comme de nuit. Il mit du temps à dénicher l'endroit, mais il y parvint un jour, par hasard, lors d'une visite au musée du Louvre. Le site avait été peint par Cézanne sous toutes les lumières des ciels de Provence et à toutes les saisons. C'était la Sainte-Victoire. Son rêve réalisé, le grand-père de José regagna son Argentine natale, se maria, eut des enfants et vécu centenaire.
Deux générations plus tard, José se retrouva dans les rues de Paris pour, à son tour, concrétiser son rêve d'enfant, ainsi que son aïeul lui en avait insufflé l'idée. Son désir à lui fut de marcher dans la grande ville sur les traces des écrivains caressés dans la grande bibliothèque familiale, mais aussi ceux qui étaient venus plus tard. C'est ce que fit José durant deux ans en inventant au gré de ses humeurs des rencontres parfois improbables, avec d'autres écrivains du monde qui firent escale à Paris...»
(À suivre dans l'ouvrage Temps d'exil de Mehdi Lallaoui.)

(*) Temps d'exil de Mehdi Lallaoui, Casbah Éditions, Alger, 2015, 79 pages.

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