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TRAVERSES D'ALGER D'AMEZIANE FERHANI

La mémoire aux talons légers

Comme fidèle revient l'écho des pas de l'enfance dans les chemins les plus courts de la cité, il raconte l'enfance insouciante avec beaucoup de fantaisie... et de vérité.

Voilà de captivants récits personnels réunis par Ameziane Ferhani, sous le titre Traverses d'Alger (*). L'auteur, né à Alger, diplômé en sociologie urbaine, est journaliste culturel. Notamment, «Depuis 2006, il dirige Arts & Lettres, les pages culturelles hebdomadaires du journal El Watan».
Dans son ouvrage, Ameziane Ferhani raconte avec beaucoup de verve des souvenirs de son enfance, particulièrement parmi ceux qu'il affectionne quand, pour se rendre d'un point de son quartier de la Casbah à un autre quartier d'Alger. Pour s'épargner les longues marches en suivant les venelles et les ruelles tortueuses qui lui faisaient faire parfois inutilement des kilomètres, il lui suffisait de couper son chemin, quel qu'il soit, en empruntant de petites rues de traverse qui débouchaient dans les plus grandes, les avenues et les boulevards.
Ces parcours si différents et si agréables étaient devenus une sorte de jeu de mémoire et d'intelligence surtout. C'était une douce façon pour apprendre à connaître son environnement, et sa société. Les images, les boutiques de fiers artisans, les bruits, les saveurs, le parler algérois, les gestes de la vie quotidienne tout au long de ces itinéraires multiples et libres, divertissants et enrichissants, pouvant même être éducatifs et instructifs, formaient l'esprit de l'enfant. Ce n'est pas choquant de reconnaître que la rue «concurrence» quelque peu l'école officielle; la rue apprend à penser la vraie vie humaine: bonheurs, malheurs et là, bien sûr, réussit qui peut!

Le rêve d'un bonheur retrouvé
Nouvelles ou récits, peu importe, «les souvenirs» que raconte Ameziane Ferhani sont très attachants par son écriture naturelle et vive, par le contenu puisé dans la réalité simple et probante de son milieu de vie. Et surtout le «souvenir» est rapporté tel un «événement» avec l'accent si merveilleux de l'Algérois des temps passés, c'est-à-dire il est empreint d'une citadinité raffinée et d'une minauderie délicieuse des plus caractéristiques de nâss el bled, les gens du Vieil Alger, ceux de «l'intérieur», sous entendre «de la Casbah», non ceux du «dehors», les «barrâniyin» et que rappellent correctement, par exemple, les pages de «Yadès!»
Alors, «Récits» ou «nouvelles», encore une fois peu importe, encore que ces vocables, si proches en apparence, désignent deux genres littéraires sensiblement différents. La «nouvelle», estiment les spécialistes et les écrivains chevronnés en ce genre de littérature, est un récit court, avec peu de personnages. Elle ne raconte pas en détail la vie d'un héros, d'une société sur une longue période, contrairement au roman. Elle n'est pas un discours. Elle n'instruit pas et elle a une fin en forme de chute ou elle laisse du mystère, - de toute façon elle clôt l'événement. En cela, pour beaucoup, elle peut paraître comme un «petit» roman ou un roman «court». Ajoutons qu'un recueil de «nouvelles» porte naturellement le titre de l'une des nouvelles qu'il contient, - généralement celui de la nouvelle placée en premier. Par contre, s'agissant du «récit», les spécialistes précisent que «le récit narre un événement vrai ou imaginaire». Le «récit» rapporte un fait, un souvenir; il est l'action de rapporter un événement; il est le récit d'une action; il expose avec précision un événement ou une suite d'événements qu'un personnage a vécus, - ce sont ses souvenirs, comme c'est le cas, à l'évidence, dans cette oeuvre Traverses d'Alger d'Ameziane Ferhani. Quoi qu'il en soit, «Nouvelles» ou «Récits», le charme des treize textes proposés envoûte le lecteur, car l'auteur qui se raconte, raconte aussi peut-être les souvenirs vécus quelque part par son lecteur. Aussi, l'indication portée en page 4 de la couverture de l'ouvrage est-elle nécessaire et suffisante: «Dans ces textes qu'il (l'auteur) préfère qualifier d'histoires courtes, selon la tradition anglo-saxonne du genre, le réel se mêle à l'imaginaire et l'ordinaire à la passion.» Et voilà donc que «l'Algérois» se remémore, à travers son enfance, «son potentiel de désir et de vie» et «le barrâni», qui lit ces «souvenirs», découvre, «avec un regard ébloui», une enfance qui est, tout compte fait, presque semblable à la sienne, là où il est né et où il a grandi, et c'est ce qui l'émeut... Le rêve d'un bonheur retrouvé, tout en poésie et en vraie enfance qui prépare à la vie adulte.

Le «Yadès» oublié
Le fantastique court dans les treize unités de souvenirs rapportés par Ameziane Ferhani dans son ouvrage Traverses d'Alger. On peut voir dans ce chiffre 13, une symbolique enflée de mystères, chez les superstitieux, comme chez les scientifiques. Certains y voient l'âge de la majorité, d'autres l'associent à l'épreuve, à la souffrance,... Ce nombre porte-t-il bonheur, aussi? Il faut le croire, car quelle belle enfance a vécue - malgré tout - ce narrateur très perspicace et généreux. Il voit clairement dans les paysages, les espaces et les êtres qu'il rencontre chaque jour et dont il enrichit sa modeste besace. Il y tient, car il la tient de son père («qui fut un ami»), de son épouse («qui est une compagne») et il la lègue d'ores et déjà à ses enfants («qui sont des complices») et, tout hardiment, «à la vie et à l'étonnement».
En effet, combien son enfance a supporté «les traverses», sans doute de la ville, mais au vrai, c'étaient des traverses de la vie d'une ville en souffrance où souvent la joie était une émotion à capturer coûte que coûte le désespoir ambiant, par exemple, en «cette période de trouble, dangereuse et sanglante. Une période qui paraissait bien plus longue qu'elle ne l'avait été vraiment, comme si le temps avait étiré ses bras en lui-même dans un ahurissant condensé d'histoire. Oui, quand la terreur et l'allégresse s'étaient télescopées. Entre les premiers attentats de l'OAS et les fêtes inouïes de l'indépendance.» Comment le personnage Zoher pouvait-il réagir alors? Il n'oublie pas «la haine, le sang, la peur et les chagrins [qui] avaient déferlé au paroxysme d'une épreuve longue de plus d'un siècle, suivie soudainement de l'immense ivresse d'un peuple - défilés, danses, rires, douces folies, embrassades et cris de joie - si merveilleux qu'il arrivait à Zoher de douter de l'avoir vécue. Quand la réalité devient si puissante, elle finit plus tard par défier la mémoire. [...] Depuis chaque fois qu'il traverse le quartier de Sidi-Yahia, une odeur lui revient, entêtante capiteuse, grisante, enfuie dans la mémoire la plus profonde de son odorat jamais plus sentie ailleurs. Celle d'une plante contre laquelle il était caché ce jour-là et qu'il n'avait pas regardée, son regard accaparé plus loin. Il passe ici, contemple les lieux balayés par la crue de l'histoire et il ne peut rien voir d'autre que cette folle et étrange matinée de printemps où, près d'un cimetière, la vie, le désir et la mort s'étaient donné rendez-vous sous le regard ébloui de quelques enfants».
Les Traverses d'Alger sont autant de moments de vie et de revivifications multiples. Dès le début de son premier souvenir intitulé «Aux Étoiles d'Or», Ameziane Ferhani s'enthousiasme, écrit avec plaisir: «Alger a beaucoup changé, je ne le sais que trop. L'admettre est une autre affaire. Entre la réalité et moi s'interpose l'écran des souvenirs, durs ou merveilleux, souvent brouillés de parasites comme ceux des anciens téléviseurs lorsqu'ils se mettaient à divaguer. Mon regard intérieur est atteint d'une cataracte de l'esprit, peut-être parce que tout amour est voué à l'aveuglement.» Tout au long des pages, de souvenir en souvenir, nous sommes saisis d'un enchantement inépuisable.
Nous sommes partout avec l'auteur, dans ses pensées et sur les sites qu'il décrit; attentifs et séduits, comment ne pas lui emboîter le pas? Il nous avertit: «Quand je marche dans les rues mes pieds jouent un rôle accessoire. Je me déplace sur mon regard. C'est lui qui me fait avancer. Il absorbe les images et passe le relais à mon cerveau qui s'entête à reconstituer les scènes du passé. Exercice d'endurance: souvent ce que je vois me peine. Pourtant, tant de beauté subsiste à Alger. Sa lumière inouïe, ses parcours sans logique, sa pagaye exaspérante mais chargée de cargaisons de fantaisie, son énergie souterraine peut-être puisée de la mer et du soleil, et ses gens surtout, gauches, exubérants, odieux ou généreux au gré de leurs humeurs [...]. Et, parmi eux, les femmes, belles comme cela ne peut se dire. [...] Ibn Arabi aurait di: ´´Tout lieu qui ne se féminise pas est indigne de confiance.´´ S'il avait pu savoir ce que les femmes et les filles d'Alger font pour la véracité de sa pensée! Au fond, ce sont elles qui tiennent l'âme de la ville, gardiennes que personne n'a nommées et qui souvent ignorent elles-mêmes la mission qu'elles exercent en se contentant d'exister.»
Les titres des 13 récits évoquent assez le propos de l'auteur et les personnages ont des noms inattendus, bizarres ou drôles (Kamel Kilotta, Skolli, Moh Panda, etc. - comme au temps de «Moh Bab El Oued», «Hâdj Cayenne», mais ceux-ci n'y sont pas.): 1- Aux Étoiles d'Or (un «humble et beau commerce»). 2- Histoire du tsunamiste. 3- De l'origine des bruits. 4- L'échelle de San-Pedro. 5- La nuit du couvre-feu brûlé. 6- La rose de Jérico (ou La plante de la résurrection). 7- Bébé bès.
8- La promesse de la place Kennedy. 9- Les séances de l'Oncle Tahar. 10- L'horloger et l'hirondelle. 11- Yadès! (un jeu traditionnel typiquement algérois). 12- La fetwa de Moh Qantar. 13- Sidi-Yahia ou la fin d'Alger.
Oui, Traverses d'Alger d'Ameziane Ferhani nous remet devant notre patrimoine algérois, un capital culturel splendide, celui que n'a cessé de nous rappeler notre ami et regretté Laadi Flici dans ses ouvrages (Chronique du temps qui passe; Le Temps des cicatrices; Sous les terrasses d'antan, L'envers des tribunes,...) et avec sa pudique liberté d'évoquer formidablement le peuple dans sa Casbah.

(*) Traverses d'Alger d'Ameziane Ferhani, Éditions Chihab, Alger, 2015, 247 pages.

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