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Les damnés de l'école

Les partisans d'une école algérienne verrouillée continuent à semer à tout vent... des voeux pieux. Ils sont généreusement relayés par des tubes cathodiques et des journaux qui refusent le débat contradictoire et la parole de la sagesse.

En envoyant leur enfant à l'école, les parents s'attendent à le voir réussir ses études afin de garantir son insertion sociale future. Rares sont ceux qui pronostiquent que, dès la première année scolaire, l'échec surgira. Ils n'ont pas de l'école une idée négative au point de lui attribuer d'entrée des capacités de nuisance de ce genre. C'est au cours de la scolarité de leur enfant qu'ils se rendent compte des obstacles dressés devant la réussite espérée. De tout temps, et dans bien des pays (le nôtre aussi), les professions de foi sur l'égalité des chances offertes par l'institution éducative ne sont pas respectées au vu des réalités du terrain. Les mauvaises notes, les redoublements et l'exclusion surgissent malgré les efforts des élèves. Un paradoxe que ni les parents et encore moins leurs enfants n'arrivent à comprendre. Un paradoxe qui alimente la suspicion envers l'institution laquelle reste imperturbable devant le drame des recalés. Elle les classera, avec cynisme, dans le registre des «pertes et profits» de la loterie scolaire. Dans la pédagogie traditionnelle du XIXe siècle jusqu'au dernier tiers du XXe siècle, la responsabilité de l'école dans l'échec de l'élève est - selon ses gestionnaires - totalement dégagée. L'élève ne bénéficiera pas de la présomption d'innocence, dans le meilleur des cas on associera ses parents à cet échec. Une manière d'alléger le poids de sa souffrance.
L'analyse fine montre que ces échecs ne sont pas tous imputables à l'élève. Loin s'en faut («il n'y a pas de mauvais élèves» dit la sagesse pédagogique)! Ces échecs sont le produit d'une combinaison de plusieurs facteurs qui façonnent la contradiction fondamentale sur laquelle repose le fonctionnement de l'institution scolaire. Cette contradiction discrédite son message et dévalorise son image auprès de ses usagers. D'un côté, elle proclame la défense des droits de l'enfant, l'égalité des chances devant les études, l'équité et la justice en matière d'évaluation et d'orientation. De l'autre, elle met en place des dispositifs et des démarches pédagogiques ainsi que des conditions matérielles qui vont à contre- courant de ces généreux principes dont elle voudrait s'inspirer. Les conséquences ne se font pas attendre: l'échec scolaire, la déperdition, la violence et plus grave, le rejet par les jeunes des valeurs universelles qui leur sont (mal) transmises. Depuis longtemps, des chercheurs universitaires ont mis en relief la paternité de cette contradiction. L'index accusateur est pointé sur le pouvoir politique, commanditaire des finalités et des orientations pédagogiques assignées à l'école.
Du XIXe siècle à nos jours, deux visions de l'école s'affrontent sur le terrain de la défense des intérêts de telle ou telle philosophie de l'éducation. En filigrane s'opposent les projets de société et les systèmes de valeurs. Dans cet affrontement, le politique y est omniprésent.

Quelles finalités?
D'un côté les fonctionnalistes, liés au grand capital, considèrent l'éducation «comme un moyen rationnel de sélectionner les gens et de les préparer suivant leurs capacités aux divers postes d'une société complexe et organisée en hiérarchie.» (Bell, 1973). Le capitalisme sauvage a besoin d'une armée de chômeurs pour prospérer et faire vivre une minorité. Les risques de dérive d'une telle approche de l'éducation sont soulignés par le courant néomarxiste. Il débusque la duplicité du discours servi par l'institution scolaire qui- sous le couvert de l'artifice d'un même régime pédagogique dispensé pour tous les élèves (cours magistral, encyclopédisme, bachotage-parcoeurisme) et examens restitution - ne fait que «reproduire les différences de classes prévalant au sein de la société.»(Bourdieu 1973). De leur côté, les libéraux progressistes se revendiquent de la pensée de J.J Rousseau. Le grand philosophe pense que «tous les enfants sont nés égaux quoique chacun possède des qualités différentes». Suite à ses idées, ses partisans développent la notion de mérite dans une école ouverte à tous sans discrimination aucune, surtout pas sociale. En postulant, la possibilité à tout un chacun de réaliser ses voeux ou d'accéder au haut de l'échelle sociale grâce à «l'école pour tous», ils affichent un optimisme sans limite en la nature humaine. Ils seront pris à défaut par l'implacable logique qui anime les tenants de la sélection scolaire à des fins de reproduction sociale. Le pionnier de ce courant humaniste qui prit racine au XIXe siècle est l'éducateur américain Horace Mann à qui l'on doit les célèbres formules de «l'école, ce Grand Egalisateur» et «l'Ecole pour tous». Vers les année 1850, H.Mann écrit: «L'école est l'instrument idéal pour obtenir la justice sociale, éliminer la pauvreté et atteindre l'égalité de chances pour tous.» Il fut lui aussi piégé par la logique interne du système pédagogique traditionnel. Lui qui finira par qualifier cette école ' de grande trieuse''. La parole n'étant pas suivie par les actes: on ne peut révolutionner l'école ex nihilo. Elle est tributaire des équilibres mis en place au sein de la société. Avec son régime pédagogique standardisé qui donne l'illusion de traduire en acte le noble principe d'égalité des chances - la même méthode, programme et système d'évaluation pour tous les élèves sans distinction aucune - l'école développait en son sein une forme de «darwinisme» scolaire, penchant naturel du «darwinisme social». Les élèves qui ne collaient pas aux standards étaient jugés peu intelligents, paresseux et les autres plus débrouillards, plus studieux, plus intelligents. Ils répondaient aux critères de réussite tels que définis par l'institution. Einstein a failli sombrer dans cette logique implacable. L'injustice d'une telle évaluation est flagrante. Rien n'a été prévu pour donner de la consistance au concept d'égalité des chances. Au «peuple - élève», l'école dira: «Voilà les règles du jeu, à vous de vous y adapter.» Elle devient ainsi une jungle où les plus sensibles, à commencer par les surdoués, ne survivent pas longtemps. Comme par hasard, ces damnés de l'école se recrutent au sein des «damnés de la terre», les élèves issus de milieux socioculturels défavorisés. Vers les années 1960, à la suite de nombreux travaux de recherche dont les conclusions sont unanimes pour dénoncer ce darwinisme scolaire, l'Unesco rectifie le tir et recommande de renforcer l'égalité des chances en prenant en charge les handicaps socioculturels. On avance le nouveau concept de «l'égalité des possibilités» à offrir à tous les élèves. Ainsi naquit le concept «d'éducation compensatoire» et de pédagogie différenciée censées atténuer les différences de départ qui pénalisent une certaine catégorie d'élèves. Cette vision nouvelle suppose que l'échec scolaire n'avait pas pour source unique l'élève ou sa famille. Ainsi, l'institution scolaire est pointée du doigt. Or l'égalité des possibilités renvoie à la 'réussite pour tous'' que prône l'Unesco depuis quelques années. Vaste et ambitieux programme s'il en est! Il suppose que l'individualité spécifique à chaque élève - il n'y a pas d'élève unique - est prise en considération et que le régime pédagogique favorise l'épanouissement des dons et des capacités de chacun d'entre eux. Et ce n'est pas tout: cette rupture avec le darwinisme scolaire implique la disparition du darwinisme social. Et aux pragmatiques de proposer une action volontariste de l'Etat pour réduire les disparités sociales à un seuil tolérable qui les rendent inoffensives sur les rendements des élèves issus des couches sociales défavorisées. Les socio-démocrates suédois et les Finlandais sont les précurseurs dans le domaine. Ils situent l'action de l'Etat à un double niveau: les conditions socio -économiques et la stratégie éducative. Les politiques de l'emploi, fiscales et sociales sont mises en adéquation dans l'optique d'une société plus juste dans la répartition des richesses. L'exemple suédois est repris par l'ensemble des pays européens. On prend de plus en plus conscience de l'impact des conditions sociales sur le double principe d'égalité des chances et des possibilités scolaires - l'équité en somme. La «réussite pour tous» est en marche. Dans certains pays, la prolongation de la scolarité obligatoire s'allonge à 18 ans. La généralisation de l'enseignement secondaire devient une tendance mondiale. Elle est en phase avec le développement global des sociétés modernes. Poussé par le vent du changement et encouragé par les progrès de la pédagogie, le courant politique social - démocrate envisage l'accès généralisé à l'enseignement supérieur. Dans l'euphorie ambiante d'une croissance économique retrouvée, les socialistes français lancent en 1985, leur fameux «80% d'une classe d'âge aux portes de l'université (niveau de terminale)». Trente ans après ils sont en voie de réaliser l'exploit - ce taux est dépassé en juin 2015.Cette performance remarquable est réalisée dans un pays où le système éducatif n'est pas cité en tant que modèle à imiter. On y parle de plus en plus de la suppression du bac napoléonien (créé en 1806) et d'imiter le modèle anglo-saxon. La France est en retard, tout comme les pays qui lui emboîtent le pas dans le domaine de l'évaluation-promotion à l'université. Le mouvement de rénovation des pratiques pédagogiques n'a pas cessé de s'améliorer et de se répandre de par le monde. L'embellie économique y est pour quelque chose. Sans elle jamais l'école n'aurait connu un tel changement positif. Elle se met de plus en plus en phase avec les besoins de l'enfance. Elle rassure ses premiers usagers, les élèves et leurs parents. Elle se les réconcilie. Une réconciliation qu'il faut tout de même relativiser pour la bonne raison que l'arbitraire de la tradition scolaire n'a pas totalement disparu. La vision pure et dure de la sélection scolaire à des fins de reproduction sociale a la peau tenace. Dans les pays développés anglo-saxons la sélection se fait plus tard, au niveau de l'université (en Finlande) ou aux portes du marché de l'emploi. Cela est un autre débat. Il est tranché par l'évidence: l'école, aussi généreuse soit- elle, ne règle pas les problèmes politiques à l'origine des discriminations sociales. Les pédagogues ont assez d'humilité pour jouer aux justiciers. Ils ne peuvent que semer les graines de l'espoir d'un monde futur débarrassé des inégalités. Ambition modeste, mais ô combien noble!

La réussite pour tous
En théorie, «l'école de la réussite» telle que dessinée par les pionniers de la pédagogie moderne est à portée de main et ses fondements formalisés. Des expériences menées ici et là ont donné des résultats séduisants. Toutefois, leur généralisation s'est heurtée à la rigidité de certains systèmes éducatifs otages du conservatisme et anesthésiés par le gigantisme. En effet, dans les pays qui connaissent une forte centralisation politique, le système éducatif est frappé d'immobilisme. La routine bureaucratique digère mal les réformes et les innovations. Le bureaucratisme, perversion de la gestion dans tout système centralisé, s'aggrave quand il s'appuie sur des préjugés idéologiques. Les réticences au changement deviennent des moyens de luttes partisanes. Souvent d'arrière-garde! En témoigne la campagne d'intox et de manipulation des masses orchestrée par certains médias algériens contre les efforts de redressement menés par le ministère de l'Education. Le système éducatif algérien offre un cas d'école unique au monde. Pendant des décennies, le pouvoir politique s'est longtemps appuyé sur les forces conservatrices pour mener à bon port une réforme qu'elles combattent pour ce qu'elle représente: la mort de leur projet d'école qu'ils ont façonné à partir de la fin des années 1970. Le conservatisme et le gigantisme centralisateur de la machine scolaire algérienne a emprunté à la France napoléonienne. Pour la petite histoire, c'est à l'armée que l'institution scolaire française - modèle imité aveuglément par l'Algérie - a emprunté son organisation interne hiérarchisée et cloisonnée: grade, fonction, chef, intendant, inspecteur, inspecteur général, surveillant... et l'inflation des grades a explosé à partir de 2008 avec le nouveau statut des personnels enseignants. Une véritable 'armée mexicaine'' sillonne les allées de nos établissements scolaires! La gestion bureaucratique du mammouth - pour reprendre la célèbre expression d'un ancien ministre français - ressemble à celle d'une caserne. En effet, le système éducatif algérien est le prototype même du gigantisme centralisé. Des années après le lancement de sa réforme, il traverse plusieurs zones de turbulence qui gênent son arrimage au train du progrès scolaire mondial. Et l'espoir offert par les deux Conférences nationales d'évaluation de juillet 2014 et 2015 ne semblent pas convaincre les tenants du statu quo et de l'immobilisme. D'abord, la persistance des réflexes pédagogiques traditionnels. L'archaïsme a failli avoir de beaux jours devant lui avec le retour aux examens de passage en fin de cycles (la fameuse sixième en 2006), le bachotage, le «parcoeurisme» et la course contre la montre des lourds programmes à boucler.
Heureusement que les nouveaux programmes envisagés pour septembre 2016, dont le Livre unique pour les 1° et 2°AP, et les nouvelles modalités d'évaluation - en attendant de plus audacieuses -arrivent en temps opportun pour parer à ces dérives.
Sur un autre plan, la stratification/bipolarisation ultrarapide de la société algérienne sous la poussée du libéralisme sauvage constitue une prime au retour des anciens réflexes de l'école/filtre. Sur ce fond de pauvreté galopante, notre pays a renoué ces dernières années avec l'arbitraire du contrôle terminal avec la réintroduction à partir de 2003 et 2006 des examens de 6°, du Brevet /sanction et de l'arbitraire moyenne de passage à 10/20, alimentant la triche, le business des cours payants, la phobie de l'école, la violence... Avec un tel décor planté, il n'est pas étonnant que les idées généreuses n'aient pas traversé par le passé, les cloisons des bureaux cadenassés de nos décideurs. Et que continuent à pleurer les enfants, à se suicider les adolescents pour cause d'échec aux études scolaires. Des âmes innocentes gonflées d'espoir au tout début de leur vie scolaire et vite déçues par celle qu'on leur présentait aussi généreuse et bienveillante que leur famille: l'école. C'est à cette logique morbide que s'attaquent les recommandations des Conférences nationales d'évaluation de la Réforme (2014 et 2015). Et dire que des 'censeurs de conscience'' n'y adhérent pas! «Adapter l'école à l'enfant'' et «la réussite pour tous» ces credo des pédagogues novateurs du XXe siècle ont eu du mal à se faire un chemin avant d'atterrir récemment en Algérie. Les verra-t-on un jour fleurir dans nos salles de classe?
Dans l'intervalle qui nous sépare de cette éventualité, les partisans d'une école algérienne verrouillée continuent à semer à tout vent....des voeux pieux. Ils sont généreusement relayés par des tubes cathodiques et des journaux qui refusent le débat contradictoire et la parole de la sagesse. Où va-t-on? Les résultats palpables sur le terrain dessinent une école de l'exclusion. Pour l'écrasante majorité des élèves algériens seront proposées les filières arabisées qui mènent au chômage ou à une Fonction publique hyper saturée et assommée par la crise du pétrole. Quant aux enfants 'bien nés ', il sera offert le biberon d'or à la bouche'' avec les filières pourvoyeuses d'emplois: la médecine, la pharmacie, l'ingéniorat, l'architecture, l'informatique, le nucléaire... Des filières qui, toutes, enseignent en français et qui reçoivent des étudiants qui ont eu la chance d'avoir fréquenté les écoles privées ou le lycée français Alexandre Dumas de Ben Aknoun. Ah! si seulement on donnait la chance ' du biberon d'or'' aux millions d'élèves algériens des Hauts - Plateaux, du Sud, des montagnes et des quartiers populaires. Ils pourront, enfin, jouir des mêmes chances que leurs pairs de la minorité d'élèves 'bien nés''! Et c'est possible! A moins de faire l'inverse, ramener cette minorité 'bien née'' à vivre les mêmes conditions que les 'damnés de l'école'', ces filles et fils des damnés de la terre. Drame cornélien dans notre planète école!

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